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The Baffler

Agone

 

 

Thomas Frank

Conference at Cinéma Nova, 29 march 2003

 

 

 

English MP3 35 min

 

Capitalisme sauvage et populisme du marché

 

Peter Senge, l’un des plus importants théoriciens du management de la décennie en question, qualifiait l’entreprise ancien type de “hiérarchie autoritaire”. Ces dirigeants y étouffaient toute initiative, ils baillonnaient l’individu, étaient sexistes, racistes. Ils ne comprenaient rien à ce qu’il se passait à l’extérieur et ils passaient leur week-end à jouer au golf avec leurs anciens camarades d’université qui de leurs côtés commettaient les mêmes offenses contre la démocratie dans leurs entreprises.

     Et vous savez quoi? Qui n’est pas contre ce genre de chose? Qui ne veut pas de la démocratie sur son lieu de travail. Mais la manière dont Senge et les autres gourous du management utilisaient ce terme était purement symbolique. Le vrai problème de l’entreprise traditionnelle c’est qu’elle constituait un paravent contre la tornade libre-échangiste. Elle abritait dans ses murs toutes sortes d’insuffisances. Les salaires y étaient bien trop élevés et elle offrait toute sorte d’avantage sociaux extrêmement couteux. Le vrai problème était surtout que les dirigeants de ces entreprises ne versaient pas suffisament de dividendes à leurs actionnaires et insistaient pour faire en interne des tâches pourtant aisément sous-traitables. En d’autres termes il s’agissait d’”élitistes”, de gens qui pensaient savoir mieux et plus que le marché et qui pensaient en conséquence en savoir plusque le peuple lui-même. Bref, l’entreprise n’était pas assez capitaliste. Le fait qu’elle soit taxée de sexisme et racisme était surtout symbolique de son élitisme, ce péché moral dont lexpression essentielle était l’attitude hautaine de l’entreprise vis-à-vis du libre marché. (D’ailleurs c’est un point de vue très partagé en Amérique que plus un pays est socialiste plus il est raciste. En revanche le libre échange serait un système censé favorisé la mixité, le multicultutalisme et la mondialisation. Toutes ces merveilleuses choses que nous aimons tant.)

    C’est pourquoi on entendait à longueur d’années des contes merveilleux sur d’héroïques patrons qui refusaient d’avoir un fichier, symbole de la monopolisation du savoir. Ou dont le bureau ressemblait en tout point à celui des autres membres de son équipe. Ou qui permettait que l’on joue au mini basket dans les bureaux, qui se déplaçait à vélo pour venir au travail. Le patron nouveau devait être un homme du peuple. Jeff Brezos d’Amazon.com était si apprécié de ses employés que le Magazine Time publia une photo de lui en train de signer des autographes sur les leurs casquettes. Le magazine parlait à cette occasion de “Communisme.Com”.

     Mais il y avait aussi ceux qui, dans le language de l’époque, “passaient complètement à côté”. Les américains ne peuvent évoiquer l’idée d’une “révolution entrepreneuriale” sans pointer du doigt la folie de ceux quis’y opposent. C’est pourquoi la littérature sur la nouvelle Économie était pleine de récits méprisants sur ces gens qui ne comprenaient pas que le vieux monde était fichu et qu’ils devaient laisser tomber des notions comme le syndicalisme et les emplois durables. La figure la plus classique dans ce genre était bien entendu l’ouvrier supposé ne rien comprendre à l’Internet et aux joies de ce nouveau monde peuplé de bas salaires.

     Le Français était également un de ces personnages ridicules que la Nouvelle Économie aimait à moquer. Si résister au libre échange est un acte d’élitisme, alors la France en est le champion. Cette France qui ne se contentait pas de s’opposer aux réformes en ce domaine mais qui passait également aux yeux des Américains pour le pays du monde le plus élitiste et le plus snob. La France est entièrement peuplé de gens qui “sont passés à côté”. La France serait ce lieu étrange où la culture, les palais dorés et les vins pompeux coexistent avec de puissants syndicats, des entreprises faibles et un État social sophistiqué. Pour les Américains ces deux aspects de la vie française sont le signe que les Français estiment en savoir plus plus que tous les autres habitants ordianires du monde, non seulement dans le domaine culturel mais aussi dans le domaine économique. La France résiste à l’avénement de la démocratie en faisant la moue devant McDonald’s et en réduisant le temps de travail hebdomadaire.

         C’est ainsi que pendants les années 1990 la France devint le type même du pays qui ne jouissait pas des bienfaits de la Nouvelle Économie. Un ennemi antipopuliste à portée de main susceptible d’être montrée du doigt et d’être couvert d’injures. Le New York Times, le plus important journal du pays, publiait des articles rigolards sur l’intellectuel français supposé écrire une livre sur l’impact de l’Internet…au stylo. Ou bien il publiait des photos d’un homme politique français regardant un ordinateur avec l’air le plus étonné du monde. Ou bien encore un article sur cet aristocrate français se lamentant sur la belle époque. Thomas Friedman, spécialistes des affaires étrangères dans ce journal, accusait la France de “faire du pied” aux “ennemis de la modernité” et alla même plus loin, un peu plus tard ,en qualifiant la France d’”ennemie”. Elle ne se contentait pas de se faire une image surévaluée d’elle même, de fantasmer sa nature aristocratique ou simplement d’être raciste elle s’obstinait de manière absurde à resister aux impératifs dictés par le libre échange.

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